Le petit Poucet (la suite)

(texte de Lucie Glinel)

L’histoire que je vais vous raconter aurait pu très mal se terminer.

C’était il n’y a pas si longtemps que cela, dans un village au milieu d’une immense forêt. Ce village se trouvait loin de tout : pas un supermarché, pas une autoroute à moins de 50 km à la ronde. Etrange …

L’unique commerce d’alimentation du village était l’épicerie tenue par M. et Mme Poucet. N’ayant pas à souffrir de la concurrence, le couple Poucet vivait plutôt bien. Ils aimaient les enfants, ils en voulaient beaucoup ; ils en eurent sept. Sept beaux garçons bien nourris. Enfin, bien nourris … Pas tous …Pas le petit dernier. Le petit dernier causait beaucoup de soucis à ses parents : figurez-vous qu’il avait décrété que manger était une perte de temps : il préfèrait se promener ou faire les 400 coups. Ah ! Les enfants …

Un jour, on apprit par le journal local la construction prochaine d’un restaurant en plein cœur de la forêt.

« Ouais super, on va enfin voir des gens dans ce bled pourri », dit Tom, le plus grand des frères Poucet, 15 ans, sympathique.

Le chantier fut rondement mené, et quelques semaines plus tard, le restaurant ouvre déjà.

– Allez Maman, on y va !
– Allez Maman, les copains y vont, on y va nous aussi ?
– Oui mes chéris, nous irons nous aussi, mais pas aujourd’hui : Papa et Maman ont beaucoup de travail à l’épicerie.

Vous savez comment sont les parents : quand on leur demande quelque chose, ils ont toujours autre chose de plus urgent à faire. Si bien que les jours, les semaines passèrent et la famille Poucet ne s’était toujours pas rendue au nouveau restaurant.

En réalité, bien qu’ils n’en parlassent pas à leurs enfants, M. et Mme Poucet étaient préoccupés : les affaires semblaient ne plus aller aussi bien :

Chaque soir, la caisse de l’épicerie était moins remplie que la veille ; chaque soir, ils étaient obligés de jeter plus de produits périmés aux ordures. Il fallait se rendre à l’évidence : les villageois avaient déserté l’épicerie.

Un jour qu’il prenait l’air sur le trottoir, devant son magasin, M. Poucet aperçut une cliente sur le trottoir d’en face :
– Bien le bonjour, Mme Martin, on ne vous voit plus beaucoup. J’espère que la santé est bonne ?
– Bonjour M. Poucet …Quelle bonne surprise … Oui, très bonne je vous remercie …Mais vous savez, au train où vont les choses … Les enfants, le mari, le travail, sans parler des trajets … le temps qu’on passe sur la route, c’est incroyable ! Je n’ai même plus le temps de faire à manger … Quelle vie ! Bon, il faut que je vous laisse.

A voir l’humeur renfrognée de leurs parents, les enfants Poucet commencèrent à se douter de quelque chose …Un jour, n’y tenant plus, le plus jeune s’adressa ainsi à ses frères :

– Eh, les frangins, je crois que les parents ne nous y mèneront jamais à ce resto. Venez, on va voir à quoi ça ressemble au moins.
– T’es pas fou ? c’est loin !
– On prend nos vélos ; sûr que ça vaut le coup : tout le monde en parle à l’école !

Quelques coups de pédales plus tard, les enfants :
– Ouah ! C’est beau ! C’est grand ! ça brille ! Eh, regardez, y’a des jeux ! Premier arrivé !

Les enfants courent, grimpent à l’échelle de corde, glissent sur le toboggan, rampent dans les tuyaux « on dirait un tunnel », et plongent dans la piscine à boules de toutes les couleurs.

Quand tout à coup …

Tom, le plus grand des enfants Poucet, vit la plus belle des princesses qu’il ait jamais vue de sa vie :
« B…Bon …Bonjour, articula-t-il »
– Bonjour, vous désirez ? Le premier repas est offert, lui répondit-elle.
– Un …un repas …
– Voilà, vous prendrez un supplément mayonnaise ? c’est 1,50 € …
– Non … merci.
– Je vous en prie, j’ai été très heureuse de vous servir. J’espère vous revoir bientôt …
– Elle espère me revoir bientôt …

Ses frères, le voyant avec un plateau à la main, se précipitèrent :
– Ouah, tom, montre un peu, fais goûter ! Bah, c’est un sandwich. Mmm ! C’est bon … C’est gratuit le premier repas ? Mademoiselle, s’il vous plaît ?

Cinq des frères Poucet s’installèrent autour d’une table avec leur premier repas.
Le Petit Poucet, bien sûr, n’avait pas faim. Il se promenait dans le restaurant, admirait les vitrines … « Ouah c’est beau, ouah ça brille… » Il allait de salle en salle « ouah c’est grand, ouah c’est beau … »

Il arriva en vue des cuisines et …
Cet homme … cet homme qui vociférait après les serveuses … Il le connaissait … Mais oui, bien sûr ! c’était l’ogre ! … L’ogre à qui il avait joué un vilain tour quelque temps auparavant. Oui, je vous passe les détails, d’ailleurs vous en avez peut-être entendu parler mais, pour faire vite : à cause du Petit Poucet, l’ogre avait égorgé ses 7sept filles …
D’ailleurs, en y regardant de plus près, le Petit Poucet remarqua que les SEPT serveuses portaient toutes un foulard autour du cou … Bon, ça, c’était plutôt une bonne nouvelle : cela voulait dire qu’elles s’en étaient sorties …Mais ça ne résolvait pas le problème actuel.

Le Petit Poucet se précipita à la table de ses frères …
– Eh les frangins …Ben, qu’est-ce que vous faîtes ?
Ses frères étaient assis à table, des emballages partout autour d’eux, et ils mangeaient …
– On a cassé nos tirelires pour en acheter d’autres. C’est bon.
– Mais … Vous avez encore faim ?
– Ben oui.

C’était étrange : plus ses frères mangeaient, plus ils avaient faim. Le petit Poucet avait l’impression qu’ils avaient déjà grossi. Il leur expliqua que l’ogre était là, qu’il fallait absolument qu’ils sortent. Ses frères ne bougeaient pas. Le Petit Poucet se rendit compte alors que les autres clients du restaurant étaient dans le même état que ses frères : ils mangeaient sans parler, le regard vide, le corps étalé sur leur chaise. Face au comptoir, il repéra Tom, son grand frère ; il n’avait pas bougé : il dévorait sa princesse des yeux.

La belle serveuse l’avait enfin remarqué, et il semblait bien qu’elle le trouvait elle aussi à son goût.

Le Petit Poucet attrapa un verre d’eau et le jeta à la figure de son frère. Il le tira dans un coin et lui exposa la situation. Tom se secoua et se reprit :
– OK, frérot, bouge pas de là.

Tom Poucet s’arma de courage, il marcha droit au comptoir, planta son regard dans les yeux bleus de la belle et :
– … euh …Tu veux sortir avec moi ?
– Ou…oui !
– C’est vrai ? … Super ! … euh, c’est quoi, cette histoire de sandwichs ?
– Ah … Ben …

La belle, gênée, lui expliqua que son père les obligeait, elle et ses 6 sœurs, à mettre un truc …un produit … dans le ketchup … Et celui qui mangeait le sandwich, avec le truc … avait tout de suite envie d’en manger un autre, et encore un autre …et …
– C’est la fortune assurée, qu’il nous a dit …

Le Petit Poucet n’avait pas perdu une miette de toute l’histoire.
– Et lui, ton père, il en mange, des sandwichs ?
– Ben non ….
– Donne-m’en un.

Le petit Poucet, grimpa sur un très grand tabouret, sortit sa fronde de sa poche et avisa l’ogre dans l’arrière-cuisine. Il était sur le point de manger un … un quoi ?
Un enfant bien sûr.
Sa bouche énorme était ouverte, il bavait. Le Petit Poucet ajusta le sandwich dans sa fronde. L’ogre soulèva le marmot. Le petit Poucet projeta le sandwich, qui vint atterrir juste dans la bouche de l’ogre. L’ogre, surpris, …laissa tomber le marmot. Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Puis, l’estomac de l’ogre se mit à faire des bonds dans son ventre :

– JE VEUX DES SANDWICHS !!!

Les filles de l’ogre, en un regard, comprirent ce qui s’était passé. Elles sentirent que la délivrance était proche. Elles abandonnèrent leurs clients et ne s’occupèrent plus que de leur père.

Elles lui amenaient des sandwichs par dizaines. Il les enfournait par vingtaines. Elles fabriquaient des sandwichs de plus en plus gros. Il avalait tout. Rapidement, il se mit à grossir. Le petit Poucet et Tom se précipitèrent à la table de leurs frères ; ils tirèrent, poussèrent chacun de leurs frères à l’extérieur du restaurant, le plus loin possible à l’extérieur du restaurant. Les filles de l’ogre faisaient des sandwichs, l’ogre mangeait. Les 2 frères Poucet tiraient, poussaient, un à un tous les clients le plus loin possible à l’extérieur du restaurant. Lorsque le dernier client fut sorti, Tom fit demi-tour :
– Ma princesse ! …
Viens, dépêche-toi, il faut partir maintenant, il n’y a plus une minute à perdre.

La belle et ses sœurs terminèrent de préparer le dernier sandwich …énorme ! et elles sortirent en courant à la suite de Tom Poucet.

L’ogre dévora le sandwich jusqu’à la dernière miette … et il explosa.

On n’est pas près d’oublier ce moment au village des Poucet. En explosant, l’ogre a fait exploser le restaurant. Il y en avait partout. Il paraît qu’encore aujourd’hui, quand on se balade en forêt, on retrouve des débris dans les arbres.

Tom Poucet, bien sûr, a épousé sa princesse, la fille de l’ogre.

Les frères Poucet et les villageois ont dû suivre une cure de désintoxication. Ce fut long et douloureux mais tout le monde s’en est sorti. Ouf !